Comptine

Le petit monsieur est assis

Il est assis dessus sa vie

Qu’il a bâtie autour de lui

Comme un château de sable gris

Avec douve et mâchicoulis

Au travers desquels il surprend

En bas très loin les autres gens

Le gentil monsieur est assis

Dans un grand fauteuil replet

Il sirote à brèves lampées

Gourmandes des jours quiets

Ses belles mains fines écrivent

Un peu – il est mélomane

Il aime bien les fleurs de serre

Le monsieur est toujours assis

Mais il a tourné un œil gris

Vers une femme qui passait

Lourde et belle dans le soir

Elle est venue s’asseoir au pied

Du fauteuil cossu verni noir

Le monsieur a bien dû lui parler

Le monsieur a parlé du château

Il a raconté le fauteuil et la serre

Il a mentionné Mozart

Il a fini par se taire

Alors cette femme a donné

Un coup de pied dans le château

Elle avait un soulier très pointu

Elle a déchiré le cuir

Du fauteuil plein de ressorts mous

Elle a piétiné la serre et sur les mains du monsieur

Elle a imposé sa griffure

Quand tout a été retourné

Ils se sont mis à danser

Ils ont chanté tout l’été

Se baignant dans l’eau de la douve

Avec les fous et les enfants

Ils ont compté les fleurs des champs

Assis par terre dans l’herbe mauve

Et ils ont souvent fait l’amour

Parmi les gens de la forêt

Le petit monsieur est assis

Seul sous une volée de pluie

Le verger est tout ravagé

Mozart a fini par se taire

Le petit monsieur délesté

Part en vacances après la guerre

TÉLEPHONE

Sale petite machine

grouillant de fils mous

appareil à fausses présences

camouflant la solitude

sous une voix embobinée

qui sait mentir si tendrement

quand les yeux restent cachés

au fond du noir de bakélite