
« Biologiquement parlant, nos savants l’ont clairement établi : seul l’homme a reçu les moyens de développer un esprit positif se pliant aux seules lois de la rationalité.
Cette différence fondamentale dans l’hérédité même des deux sexes a été heureusement reconnue par nos sages Dirigeants, et c’est pourquoi les femmes, dans notre société respectueuse de leur condition, sont tenues à l’écart des Ecoles et trouvent au foyer et à la production le plein épanouissement de leurs qualités tant affectives que manuelles, par le biais des travaux d’entretien, de nettoyage ou de manutention qui leur sont confiés.
Notre Société Nouvelle a pleinement mis en application le grand Principe comtien, diligemment inculqué à tous dès le plus jeune âge, qui est la base de notre réussite éclatante :
« LA SOUMISSION EST MORALEMENT SUPÉRIEURE À LA RÉVOLTE »
Le texte a été écrit en 1976, alors que les cartes de paiement étaient inconnues en dehors des cercles d’initiés; l’ordinateur personnel n’existait pas et l’internet moins encore.
Pour dénoncer une société de surveillance absolue, j’avais imaginé un ordinateur géant contrôlant l’ensemble de l’Etat… Mon unique source de référence était HAL 9000 dans l’Odyssée de l’espace de Kubrick. Cela me permettait d’ajouter au monde orwellien une question nouvelle : par quels moyens pratiques peut-on éradiquer la culture, transformer la langue et surveiller efficacement tous les faits et gestes de chaque individu habitant un Etat moderne ?
J’avais été frappé par l’analogie entre l’idéologie des « Administrateurs » et le discours positiviste dont j’avais une connaissance rudimentaire. La lecture d’Auguste Comte m’a donné l’idée de nourrir mes personnages des maximes tirées du Système de politique positive. Je trouvais plaisant qu’une idéologie totalitaire du 21ème siècle (qui alors me paraissait lointain) trouve sa source dans une réflexion du milieu du 19ème (place de la femme dans la société, hiérarchies figées, paternalisme économique et politique) comme si on était revenu deux siècles en arrière pour promouvoir une société d’Ordre et de Progrès…
Le texte a été refusé par tous les éditeurs auxquels je l’ai proposé. Quarante ans plus tard, redécouvrant ce texte oublié, j’ai été frappé par les analogies entre le discours totalitaire de la dystopie de 1976 et la logorrhée de nombreux dirigeants actuels. Quant à la surveillance de masse que je croyais purement utopique, elle est devenue la réalité presque banale d’aujourd’hui.